Alertés par ce Hollandais un peu farfelu qui prétendait que les abeilles « jaunes » qu’il importait de Suède faisaient merveille sur les fleurs « jaunes » de ses potirons, (voir « Quelle couleur « mode » pour mes abeilles ? Orange, bien sûr ! ») nous avons mené l’enquête … et fait chou-blanc. En Norvège pourtant, on s’inquiète parce que les « carniques » locales ont parfois des anneaux jaunes ! Un métissage ? Mais avec qui ? Abeille noire ou italienne ?
En fait la couleur n’est pas, pour les races d’abeilles, un critère synthétique et les variations naturelles existent sans être signe d’hybridation.
Une information bizarre, comme celle dont nous avons parlé dans la dernière revue de presse à propos de ces « abeilles jaunes » que les apiculteurs hollandais importeraient de Suède, vaut la peine d’être vérifiée et recoupée. (Quelle couleur « mode » pour mes abeilles ? Orange , bien sûr !)
Nous sommes donc allés fouiner un peu dans les magazines apicoles scandinaves. Rien chez les Suédois mais un résultat immédiat chez les Norvégiens : un article intitulé « Gule Krainerbier ?» (« Des abeilles carnioliennes jaunes ? ») dans la livraison de septembre 2006 du magazine Birøkteren – Tidsskrift for Norges Biroekterlag (« Journal pour l’apiculture norvégienne »). Serions nous sur la piste ?
Rappelons qu’on parle aujourd’hui de « carniolienne » pour Apis mellifera carnica, une des races (ou sous-espèces) de l’espèce A. mellifera. Originaire d’Autriche et de Slovénie, cette carnica a pratiquement remplacé l’abeille noire (A. mellifera mellifera) dans la plupart des pays germaniques. (Autriche actuelle, RFA, Pays-Bas, etc.). Jusque là, A. mellifera mellifera était l’abeille indigène en Europe de l’Ouest et du Nord.
On se permettra de trouver l’adjectif « carniolienne » prétentieusement lourdaud et inutilement compliqué, comme tout le néo-vocabulaire contemporain. L’ancien duché de Carniole (en allemand Krain) correspond à peu près à la Slovénie actuelle mais quand le géographe français Eugène Cortambert décrivait la Carniole en 1872, il parlait, lui, des « Alpes carniques ». Nous ferons donc comme lui et parlerons désormais d’abeille carnique (voire d’abeille slovène mais la référence à l’appellation linnéenne est moins source d’erreurs).
Revenons au sujet : l’article de Liv Saether Myskja, qui est conseiller pour les éleveurs, explique que « les abeilles croisées ont souvent des bandes jaunes et chaque fois qu’un apiculteur trouve des traces jaunes dans un peuple de carnica (krainerbifolk) ou dans une colonie d’abeilles noires (brunt bifolk), on pense habituellement à l’influence d’une autre race. La colonie ne serait pas pure. C’est un raisonnement correct en ce qui concerne les abeilles noires, mais pas les carniques. Les abeilles noires sont toujours d’un noir brun (brunsvart) et les carniques brun gris (gråbrun). Mais chez les abeilles de Carniole, il existe quelques variations naturelles et on peut trouver des anneaux et des coins couleur cuir sur l’abdomen. Elles ne sont pas jaune clair mais d’une couleur plus foncée et on en trouve non seulement dans toutes les régions d’Autriche mais aussi dans toutes les régions d’où provient la carnica. Pour cette race-là, des traces de jaune ne sont donc pas signe d’hybridation. La couleur cuir est simplement une variation naturelle d’origine. »
« On trouvera de plus amples détails sur cette question » continue l’article, « dans le livre d’où provient la photo qui accompagne l’article . » C’est l’ouvrage célèbre de Friedrich Ruttner intitulé « Naturgeschichte der Honigbienen » (« Histoire Naturelle des abeilles mellifères »)
On sait d’ailleurs que les dernières analyses d’ADN mitochondrial confirment que la carnica et la ligustica (l’abeille jaune d’Italie) sont de très proches parentes.
Nils Jakob Drivdal, spécialiste de l’abeille noire norvégienne, consulté sur ce point, complique l’intrigue !
Il rapporte que Goetze, (un des spécialistes de la morphométrie au siécle dernier et l’auteur d’une monographie de la carnica dans les années 60), possédait des échantillons d’abeilles noires fossilisées dans la tourbe d’un marais et datées de l’an 600 dont certaines avaient des coins jaunes sur le 2ème tergite. Ces échantillons ont malheureusement été perdus durant la dernière guerre.
En tout cas, une chose semble certaine : en Hollande comme en Suède, en Slovénie comme dans le XIIIème arrondissement de Paris, le jaune a le vent en poupe.
Simonpierre DELORME ()
Publié dans Abeilles & fleurs N° 676 d’octobre 2006