Dr. Jonathan Lundgren, entomologiste chef de service à l’USDA et lanceur d'alerte

SOYEZ GENTILS AVEC LES NEONICOTINOÏDES, S’IL VOUS PLAÎT ! (Le Ministère de l’Agriculture des USA triche un peu…)

Un lanceur d’alerte au Ministère

Le 28 octobre 2015, un entomologiste chef de service à l’USDA (United States Department of Agriculture), le ministère étatsunien de l’Agriculture, accusait sa hiérarchie d’avoir supprimé des résultats de recherche susceptibles de mettre en cause l’utilisation d’une classe répandue de pesticides (les néonicotinoïdes) qui est un des gros moteurs de revenus de l’industrie agrochimique.

Dr. Jonathan Lundgren (Photo USDA)
Dr. Jonathan Lundgren (© USDA)

Qui est Jonathan Lundgren

Jonathan Lundgren, chercheur confirmé au Service de Recherches Agricoles de l’USDA , travaille depuis 11 ans à l’agence de Brookings (Dakota du Sud). Le magazine Science Advances publiait en juillet 2015 une étude signée de lui et de Scott W. Faust, intitulée « Trading biodiversity for pest problems » que le bulletin de veille scientifique de l’INRA Algérie décrivait comme : « Un nouveau coup de canif au dogme de l’agriculture conventionnelle. » Selon Lundgren, le harcèlement et les représailles ont commencé en avril 2014, à la suite d’interviews aux médias données en mars de la même année au sujet de quelques conclusions de ses résultats de recherche.

Les néonicotinoïdes

Le travail de Lundgren incluait l’examen extensif d’une classe d’insecticides, les néonicotinoïdes, largement utilisés par les fermiers étatsuniens contre les ravageurs du maïs et d’autres récoltes, pour sécuriser les productions. On vend ces insecticides soit en pulvérisation des plants, soit en enrobage des semences avant plantation. On les utilise aussi sur les plantes vendues en jardinerie.

Première plainte officielle

La plainte de Lundgren est la première plainte formelle. Dans les années récentes, on avait mis en doute l’intégrité scientifique des recherches conduites par l’USDA. La rumeur harcelait le ministère. Plusieurs intervenants extérieurs s’étaient plaints que les résultats scientifiques étaient supprimés sur toute une gamme de sujets dès lors qu’ils contrariaient les intérêts de puissantes sociétés

Le Ministère se défend bec et ongles

Aucun commentaire immédiat n’a suivi le dépôt de plainte mais dans le passé, les porte-paroles officiels de l’USDA avait déjà protesté : toute critique de l’intégrité des études de leurs scientifiques était sans fondement. Toutes les précautions avaient été prises depuis longtemps. L’intégrité du travail était garantie et il était incorrect de prétendre le contraire.

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Un sujet brûlant

Les néonicotinoïdes sont un sujet délicat. Nombreux sont les scientifiques à montrer en eux une cause des mortalités dramatiques des populations d’abeilles, celles qui pollinisent un bon tiers de la nourriture totale consommée aux États-Unis. Les sociétés qui fabriquent et vendent ces insecticides prétendent que d’autres études montrent que les neonics ne sont pas le vrai problème et leurs services de lobbying « travaillent » activement législateurs et régulateurs pour empêcher toute limitation de l’usage des produits. Car ceux-ci sont la pièce maîtresse d’un marché en pleine croissance qui devrait atteindre en gros 15 milliards de $ US (13,6 milliards d’euros).

Contestation sur plusieurs plans

Lundgren et d’autres ont mis en cause aussi bien l’efficacité que la sécurité de ces insecticides vis-à-vis de l’environnement. Les recherches ont montré des « effets non-ciblés » (disons des dommages collatéraux) sur les abeilles en particulier mais aussi sur le papillon Monarque, le plus populaire des papillons nord américains, qui migre tous les hivers vers le Mexique et en revient au printemps, symbole d’une bonne demi-douzaine d’états de l’Union (voir la migration du Monarque sur une émission d’Arte). Pire, deux autres études dirigées par Lundgren ont conclu que les fermiers ne tiraient aucun bénéfice de l’utilisation coûteuse des semences enrobées de néonicotinoïdes pour leur récoltes.

« Dès la fin de l’été, une centaine de millions de papillons monarques venus du Canada migrent vers les forêts de l’État du Michoacán au Mexique, où ils hiverneront jusqu’en mars. Pesant moins d’un demi-gramme, le monarque vole jusqu’à 100 kilomètres par jour. Au total, en deux mois, il aura ainsi parcouru quelque 5000 kilomètres : c’est la migration annuelle la plus longue jamais observée chez un insecte. Unique au monde, elle constitue une véritable énigme de la nature pour les scientifiques. Comment les papillons retrouvent-ils le sanctuaire de leurs ancêtres ? Comment résistent-ils aux nombreux obstacles qui se dressent sur leur route ? Au Mexique, l’arrivée des papillons est très attendue, notamment parce qu’elle détermine le jour de la célébration des morts. À cette occasion, des représentations diverses des mariposas monarcas recouvrent l’ensemble des villages alentour, et les fêtes et veillées religieuses se succèdent. »

Les détails des représailles

En mars 2014, Lundgren parle à l’extérieur du ministère de quelques unes de ses trouvailles. Dès avril, des responsables bloquent la publication de son étude. On lui interdit de parler aux médias, on perturbe les travaux du labo qu’il supervise. Tout ceci est détaillé dans la plainte déposée et enregistrée auprès du Merit Systems Protection Board, une structure officielle prévue pour les cas de ce type et la protection des victimes. Cette plainte du 28 octobre 2015 fait d’ailleurs elle-même suite à une protestation interne de Lundgren auprès du ministère dès septembre 2014 ; protestation qui fut rejetée par sa hiérarchie.

Soutien professionnel

Lundgren a obtenu le soutien du PEER, une association de Protection des Employés qui Protègent notre Environnement. Son directeur général Jeff Ruch a expliqué : « Le cas du Dr Lundgren souligne bien lesbelleshistoires.info_PEERpourquoi nous avons vraiment besoin de protections légales pour les scientifiques qui travaillent pour le gouvernement. » Les conseillers juridiques du PEER vont aider notre lanceur d’alerte car « les bureaucrates sont sous la pression politique des grands groupes et ils ont toujours tendance à tirer sur le messager annonceur de mauvaises nouvelles, même s’ils portent eux-mêmes une blouse de laboratoire. »

Bis repetita placent

En mars 2015, le même PEER avait lancé une «pétition légale» auprès de l’USDA. Aux USA, la démocratie directe permet aux citoyens de déposer des projets de loi, une tradition remontant à la Magna Carta anglaise de 1215, puis au Bill of Rights anglais de 1689. Ces initiatives peuvent s’adresser à l’État fédéral mais aussi à chacune de ses administrations. Cette pétition s’appuyait sur le discours d’investiture de Barak Obama en 2009 qui avait promis de «remettre la Science à une place juste et vertueuse» dans les politiques fédérales. (What’s the ‘rightful place’ for science in federal decisions?).
PEER affirmait que l’agence devait renforcer ses règles pour protéger ses scientifiques de toute censure interne, de toute suppression politique des études et de toute altération de ces études. Pour Jonathan Lundgren, il semble que la publication de l’étude sur le Monarque a mis le feu aux poudres, car cette publication sur un sujet «sensible» n’avait pas été autorisée. PEER affirme avoir constitué un dossier bien rempli des brimades et mises à pied sans salaire (deux en deux ans) subies par le chercheur.

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Les apiculteurs à la rescousse

Le Pollinator Stewardship Council, une structure créée en 2012 par des membres de l’Association des Producteurs Américains de Miel, se concentre sur les problèmes causés par les pesticides et sur les relations avec les fermiers qui les utilisent. Elle a réagi à la nouvelle en précisant que le cas du Dr Lundgren n’était pas unique. D’autres scientifiques ont dû faire face à ces situations lorsque leur travaux mettaient en cause la santé et la sécurité des phytosanitaires. Ces scientifiques ont documenté les actions précises menées contre eux : retrait d’études par des officiels du ministère, édulcoration des conclusions, suppression des noms de certains scientifiques des listes d’auteurs, report des autorisations de participation à des colloques. Selon le PSC, la liste établie par PEER compte plus de 10 noms de chercheurs. Le cas du Dr Lundgren, connu et respecté, avec lequel les apiculteurs ont toujours travaillé en confiance, ravive ces questions et jette un nouveau trouble. Pour le PSC, « ses recherches nous ont toujours paru impartiales, perspicaces, soucieuses de la santé de l’abeille. »

Le ministère de l’agriculture, un pompier pyromane ?

« Le Conseil rappelle qu’il est de la responsabilité du ministère de protéger la santé et la sécurité du public, et d’assurer viabilité et durabilité de l’environnement et des ressources naturelles du pays. Les recherches du Dr Lundgren pourraient conduire à une amélioration de nos eaux et bénéficier ainsi indirectement financièrement à toute la communauté agricole, tout en demandant moins de régulation.
Le Conseil demande instamment que l’inspection Générale du Ministère enquête sur ces pratiques. Toute la recherche conduite à l’USDA doit rester intègre et transparente afin de pouvoir assurer des décisions scientifiquement fondées. Des études sérieuses ont montré que les pesticides étaient le moteur principal du déclin des abeilles et les herbicides celui de la destruction de l’habitat des pollinisateurs sauvages. Pour la durabilité et la disponibilité de nos nourritures, les pollinisateurs sont le moteur principal des rendements. »
L’avenir dira si le message peut passer…

Simonpierre DELORME   ()

 

Sources & Compléments :