Plus de miel contenant des OGM sans autorisation ni étiquetage ? (CJUE 06/09/2011)

Résumé : Alors que jusqu’ici la Commission européenne considérait que la vente de produits alimentaires avec une présence accidentelle et limitée d’OGM ne nécessitait pas d’autorisation ni d’étiquetage spéciaux, un jugement de la Cour de Justice de l’Union Européenne du 06.09.2011 instaure une TOLERANCE ZERO pour les OGM dans le miel. Cette décision est due à l’entêtement d’un apiculteur de loisir allemand. Elle modifie la législation sur le miel en Europe. Elle est également susceptible de créer une guerre commerciale entre l’Europe et les pays qui ont de vastes cultures OGM de maïs ou de colza (Canada, États-Unis, Argentine, Afrique du Sud). Les pollens correspondants se retrouveront inéluctablement dans les miels produits à proximité. Ces miels, désormais bloqués, devront alors solliciter une autorisation et être étiquetés en tant qu’aliments contenant des OGM, ce qui leur fermera une partie du marché européen. Sur le plan européen, l’installation de parcelles expérimentales un peu n’importe où, à proximité voire au milieu des cultures non-OGM, est désormais impossible puisque les abeilles peuvent aller chercher leurs butins à plusieurs kilomètres.

L’histoire est longue. Elle montre la détermination de Karl-Heinz Bablok, un apiculteur de loisir bavarois et de quatre de ses collègues.

Karl-Heinz Bablok est un simple apiculteur de loisir, un Souabe, de la partie ouest de l’État Libre de Bavière. La Bavière est le plus gros Land (pays) parmi les 16 états fédérés (Länder) qui forment actuellement la République fédérale allemande.
En 2005, K.-H. Bablok a trouvé dans les produits de sa ruche des traces de MON 810, le maïs génétiquement modifié du trust Monsanto, développé aux États-Unis dans les années 90 et autorisé à la commercialisation en Europe depuis 1998.
C’est un maïs insecticide bien connu. Il contient un gène de la bactérie du sol Bacillus thuringiensis (Bt) qui excrète des toxines Bt dans le plant de maïs. Ces toxines permettent de lutter contre les chenilles de la pyrale du maïs, papillon parasite du maïs dont les larves, en cas d’infestation, fragilisent le plant de maïs dans son développement. Les toxines Bt détruisent les cellules de l’intestin des larves, entraînant ainsi leur mort.

lesbellehistoires.info_OGM_MaisL’autorisation du MON 810 a suscité beaucoup de résistances : on craint évidemment la contamination des pollens d’un côté et le développement de résistances chez les ravageurs de l’autre ; la commercialisation aux États-Unis s’est faite sans grand souci du consommateur ; Monsanto a mauvaise réputation et a fait montre de pratiques quasi frauduleuses pour le soutien du célèbre herbicide Roundup. Si bien que huit pays européens ont fini par utiliser la « clause de sauvegarde » qui permet d’arrêter, au moins temporairement, la commercialisation du MON 810 : Hongrie, RFA, Autriche, Bulgarie, Luxembourg, Grèce & France (depuis le 11 janvier 2008 pour la France). A ces pays il faut ajouter la Suisse, où la démocratie est sensiblement plus développée que dans les pays de l’Union Européenne, et qui applique depuis toujours quant à elle, une politique de fermeté et de protection du consommateur à l’égard des modifications génétiques.

Têtu comme un Souabe

Les tests existent, eux, depuis longtemps et, à proximité du rucher de K.H. Bablok, l’état bavarois a installé des parcelles expérimentales pour ce maïs GM. Les abeilles ne savent évidemment pas discriminer les pollens.
Avant 2005, l’apiculteur récoltait et commercialisait également des pollens, en tant que compléments alimentaires et c’est dans ces pollens qu’il a d’abord trouvé des traces d’ADN du MON 810 « dans une proportion de 4,1 % par rapport à l’ADN total du maïs » Il a également trouvé des protéines transgéniques (toxine Bt), « dans le pollen de maïs récolté (…) dans des ruches situées à 500 mètres des terrains du Freistaat Bayern. (…) Par ailleurs, la présence de très faibles quantités d’ADN de maïs MON 810, provenant de l’apport de pollen de ce maïs, a été détectée dans quelques échantillons de miel de M. Bablok. »

Coût de l’analyse : 300 euros. Bablok ne veut donc plus commercialiser ces produits pollen et miel contaminés, d’ailleurs ses clients ne veulent pas d’OGM dans leur miel ou leur pollen. Il porte donc plainte contre l’état bavarois, responsable de la contamination. (On relira sur le même sujet l’article plus ancien qui commente l’interview d’un autre apiculteur bavarois : Les abeilles récoltent aussi sur les OGM).

De tribunal en tribunal, de jugement en jugement

Le tribunal administratif bavarois d’Augsburg répondra, le 30 mai 2008, que « l’apport de pollen de maïs MON 810 faisait du miel et des compléments alimentaires à base de pollen des denrées alimentaires soumises à autorisation, de sorte que, en application de l’article 4, §2, du règlement n° 1829/2003, ces produits ne pouvaient être mis sur le marché à défaut d’une telle autorisation ». Monsanto fait appel de la décision bavaroise. Le tribunal bavarois explique que, selon le droit européen, « le pollen de maïs GM est un « organisme, étant donné que, s’il ne peut se multiplier lui-même, il peut, en tant que cellule sexuelle mâle, transférer dans des conditions naturelles du matériel génétique aux cellules sexuelles femelles.  » Cependant, le Bayerischer Verwaltungsgerichtshof observe que « le pollen de maïs perd très rapidement, par assèchement, son aptitude à la fécondation d’une fleur de maïs femelle, de sorte qu’il n’est plus un organisme vivant en état de fonctionner pendant toute la période de maturation du miel, à partir du moment où celui-ci, auquel il est incorporé, est stocké dans les rayons et operculé. » Il ajoute qu’ »il en est de même en ce qui concerne le pollen contenu dans les produits à base de pollen, au moment où ces derniers sont destinés à l’alimentation, notamment sous forme de compléments alimentaires. »

Du coup, la cour bavaroise décide de surseoir et elle demande à la Cour de Justice des Communautés Européennes si « la présence de pollen de maïs génétiquement modifié dans ces produits apicoles constitue bien une « altération substantielle » de ces derniers, si bien que leur mise sur le marché devrait être soumise à autorisation »
C’est une question préjudicielle et, dans cette affaire, Me Yves Bot, Avocat Général de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) rend, le 9 février 2011, un avis non décisionnel : il estime que la présence dans du miel de pollen issu d’un maïs GM, “même en quantité infime, » fait que ce miel nécessite une autorisation avant d’être commercialisé. « Un aliment contenant du matériel génétique provenant d’une plante modifiée génétiquement, que ce matériel ait été introduit intentionnellement ou non, doit toujours être considéré comme un aliment produit à partir de PGM (plante génétiquement modifiée). »

L’arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne à Luxembourg

Le 6 septembre 2011, le Tribunal de la CJUE confirme l’avis: de l’Avocat Général.
Du pollen issu d’une variété de maïs génétiquement modifié, qui a perdu sa capacité de reproduction et qui est dépourvue de toute capacité de transférer du matériel génétique qu’elle contient, ne relève plus de la notion d’organisme génétiquement modifié au sens du règlement européen concernant les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés.
Lorsqu’une substance telle que du pollen contenant de l’ADN et des protéines génétiquement modifiés n’est pas susceptible d’être considérée comme un organisme génétiquement modifié, des produits comme du miel et des compléments alimentaires contenant une telle substance constituent, au sens de l’article 3, §1, sous c), du règlement n° 1829/2003, «des denrées alimentaires […] contenant [des ingrédients produits à partir d’OGM]». Pareille qualification peut être retenue indépendamment du point de savoir si l’apport de la substance en cause a été intentionnel ou fortuit. Elles sont donc soumises aux règlements d’autorisation et d’étiquetage.
« Les articles 3, §1, et 4, §2, du règlement n° 1829/2003 doivent être interprétés en ce sens que, lorsqu’ils impliquent une obligation d’autorisation et de surveillance d’une denrée alimentaire, il ne peut pas être appliqué par analogie à cette obligation un seuil de tolérance tel que celui prévu en matière d’étiquetage à l’article 12, §2, du même règlement.
»

Une modification de la législation du miel

Ce dernier paragraphe implique l’obligation pour le miel contaminé d’être soumis à autorisation et obligatoirement étiqueté comme contenant des ingrédients produits à partir d’OGM. Ce qui modifie la législation du miel. Jusqu’à présent, l’Union européenne imposait que les produits soient étiquetés « avec OGM » seulement s’ils contenaient 0,9% ou plus d’OGM. L’étiquetage « avec OGM » n’étant pas obligatoire en cas de présence « fortuite » d’OGM ou « techniquement inévitable » par pollinisation par exemple. Une politique qui ne heurtait pas les intérêts commerciaux nord-américains. Or ce qui s’applique au pollen considéré comme complément alimentaire est évidemment extensible à tous les autres compléments alimentaires. Ceci devrait donc normalement, logiquement, « hygiéniquement », poser quelques problèmes à la politique actuelle des parcelles expérimentales, situées à proximité, voire au beau milieu de cultures non-OGM. La distance de 5 km que réclamaient les apiculteurs (et les fermiers bio également) pourra-t-elle s’imposer. Ce jugement va avoir ses conséquences importantes sur le marché mondial des miels d’abord, sur la réglementation de cultures OGM ensuite.

Ce que les juges européens ont instauré, c’est une tolérance zéro pour le pollen génétiquement modifié dans le miel. Au moins aussi longtemps que la plantation de MON 810D reste interdite dans les pays concernés, cette situation ne pose normalement pas de problème aux apiculteurs locaux. Quid alors des pays qui, dans le reste du monde, ont de larges étendues de maïs GM (Canada, Etats-Unis, Argentine), voire des pays dont les paysans sont entièrement tombés sous la coupe de Monsanto et n’ont plus d’accès libre aux semences non OGM ? Leurs apiculteurs vont-ils devoir renoncer à l’exportation de leur miel, ou au moins devoir se plier à un étiquetage pénalisant ?

Gageons que la bataille juridique et commerciale ne fait que commencer. Cela dit, nous savons que les techniques de microfiltration du miel permettent déjà de camoufler les origines d’un miel. Vont-elles connaître un développement exceptionnel ? Se pourrait-il que l’importation frauduleuse de miels ré-étiquetés (comme on le fait aujourd’hui pour le foie gras) se développe comme un moyen de contourner les barrières ?

Simonpierre DELORME, le 24 septembre 2011   ()

Sources :

Compléments :

On retrouvera le lien qui permet de lire l’intégralité du jugement en traduction française dans le texte de l’article.