Photo ci-dessus : Machair (prés salés) à Berneray (Hébrides). Au Royaume-Uni, 98% des grasses prairies qui offraient une riche diversité de flore et de faune ont disparu. C’est une des causes de la disparition des bourdons, surtout de ceux à longue langue. Photo Richard Webb
Les différentes espèces de bourdons Bombus, sont aussi des pollinisateurs parfois indispensables dans des zones où une riche végétation particulière permet l’existence de toute une faune très diversifiée. Il n’y a pas que le « mitage » des territoires et le remplacement de la flore indigène par d’autres qui menacent les bourdons. Le développement de l’apiculture et l’introduction, voire la transhumance parfois, d’abeilles mellifères, peut apporter une concurrence redoutable pour les pollinisateurs locaux. La comparaison des tailles du thorax des ouvrières bourdons de certaines espèces rares, dans des biotopes intacts et dans des biotopes où on a introduit A. mellifera, permet de mesurer l’impact de cette introduction. Dans ces zones à protéger, la Fondation Britannique pour la Conservation des Bourdons a réclamé l’interdiction des activités apicoles. Notre abeille y est devenue à son tour, espèce invasive !
Les humains, espèce invasive au niveau mondial
Les chantres du développement durable ont parfois tendance à oublier pudiquement de mentionner une donnée fondamentale du problème, c’est-à-dire l’accroissement des populations humaines. Cet accroissement est d’abord la conséquence du développement hygiénique et médical, impulsé et mondialisé par le monde occidental.
Quand il y a de plus en plus d’humains sur notre globe, que ce soit en France ou au Nigeria, il y a de moins en moins de place pour les animaux, qu’il s’agisse des blaireaux ou des éléphants. Quand il faut nourrir de plus en plus d’humains, les ressources en nourriture diminuent, qu’il s’agisse des poissons ou des légumes, et la mondialisation fait que la technique, hier uniquement occidentale mais aujourd’hui mondiale, est obligée de donner toutes ses capacités à produire à plein rendement, ce qui ne marche pas toujours parfaitement.
N’euphémisons pas plus loin, oublions les problèmes de la raréfaction des combustibles et du dérèglement climatique, ou encore ceux du recul des terres cultivables susceptibles de nourrir nos populations devant la macadamisation des sols (voire la « tarmacadamisation » : le mot « tarmac » est simplement l’abréviation de « tar-macadam »). Tenons-nous en aux bourdons !
Les abeilles mellifères introduites par les humains peuvent devenir une espèce invasive dans les biotopes des bourdons
Dans un biotope équilibré, l’introduction d’abeilles mellifères, qui n’y étaient pas présentes jusqu’alors, va entrainer une concurrence sévère avec les pollinisateurs indigènes et probablement un recul certain de ces derniers, comme le suggèrent de nombreuses études. Celle publiée en 2008 par le Journal of Insect Conservation, étude faite par David Goulson et Kate R. Sparrow, de l’école des sciences biologiques de l’université de Stirling en Ecosse, examine les preuves de cette concurrence entre les abeilles mellifères et quatre espèces d’abeilles-bourdons d’Ecosse, dans une zone peut-être naturellement accessible aux abeilles mellifères mais dans laquelle la domestication et l’apiculture ont beaucoup augmenté la population de ces dernières.
L’examen de la largeur du thorax (qui donne une mesure fiable de la taille du corps) d’ouvrières de Bombus pascuorum, B. lucorum, B. lapidarius et B. terrestris dans des sites avec et sans abeilles mellifères montre que les ouvrières de bourdons sont sensiblement plus petites dans les zones où elles doivent coexister avec des A. mellifera. Si la taille réduite des bourdons implique, ce qui semble logique, des colonies plus faibles et aux succès moindres, les auteurs estiment nécessaire d’envisager des limitations à l’activité grandissante des abeilles domestiques, dans un simple but de conservation, là où des populations de bourdons d’espèces rares persistent encore.
L’effondrement des populations de bourdons
Louise Gray, correspondante du Telegraph pour les questions d’environnement, est allée interviewer David Goulson, qui est également membre et co-fondateur du Bumblebee Conservation Trust, la société pour la protection des bourdons. D’où quelques rappels douloureux :
Les populations de bourdons, ce cousin sauvage de notre abeille «domestique» sont en train de s’effondrer sur l’ensemble du Royaume Uni (dans le restant de l’Europe également !). Sur les 25 espèces habituelles, 3 ont totalement disparu et de nombreuses autres sont sévèrement menacées.
Or ces bourdons sont les principaux acteurs de nombreuses pollinisations, y compris pour des fruits et des légumes comme les fraises, les pommes de terre et les tomates, ou pour de nombreuses fleurs rares de Grande Bretagne comme la digitale, le chèvrefeuille, le coquelicot, le lupin et toute une catégorie d’orchidées sauvages. « De nombreuses espèces de plantes ne se reproduiront pas sans l’assistance du modeste bourdon. Si ces plantes disparaissent, leur disparition entraîne celle de nombreuses autres espèces, plus haut dans la chaîne alimentaire, et, au-delà, un désastre écologique. »
Depuis 1960, on estime que les populations de bourdons, sous les actions conjuguées du climat mais aussi de la perte des habitats disponibles et de l’impact des maladies, ont diminué de 60% (80% dans certaines parties du territoire). L’horticulture et l’agriculture s’en inquiètent. Les amoureux du paysage aussi puisque les fleurs sauvages et les prairies ont aussi besoin des bourdons. De plus, à des espèces différentes correspondent des longueurs de langue différentes : Certains bourdons vont polliniser certaines fleurs pour lesquelles d’autres insectes ne conviendront pas. Et la « buzz pollination » qui répand le pollen dans la fleur par la vibration des ailes de l’insecte permet aussi à certaines plantes une fertilisation croisée que nos abeilles leur assureraient beaucoup moins bien.
Recréer des habitats naturels
Dans un colloque de la Société Royale d’Entomologie, le professeur Goulson a demandé la réimplantation des haies et des chaumes, celle des talus et des pâturages crayeux, celle des prairies et des fleurs nécessaires pour recréer un habitat qui s’amenuise de jour en jour. Il a aussi incité les propriétaires à préférer pour leurs jardins et leurs cottages les plantes sauvages locales et celles qu’on y trouve traditionnellement, plutôt que d’introduire de belles exotiques pas forcément utiles aux biotopes locaux.
Parmi les fleurs sauvages qui ont besoin des bourdons pour leur pollinisation, citons le silène rouge (mélandryum), les digitales, les lupins, le vulnéraire, les pédiculaires, de nombreuses orchidées, la vipérine, le trèfle rouge, diverses vesces ou anthyllis, les centaurées, bruyères, scabieuses, myrtilles, cassis, mûres, le marronnier, le coquelicot, le bleuet, la cytise, le chèvrefeuille. Parmi les fleurs de jardin : la lavande, la sauge, le romarin, le delphinium, l’ancolie, les cives, civettes, ciboulettes, les roses trémières, le tournesol, la menthe, la marjolaine, la gueule-de-loup, l’herbe-aux-chats, la consoude.
Sources :
- GOULSON David & SPARROW Kate R. (2008) : « Evidence for competition between honeybees and bumblebees; effects on bumblebee worker size » Journal of Insect Conservation Springer ISSN1366-638X (Print) 1572-9753 (Online) « Honeybees as invasive organisms«
- GRAY Louise : « Bumblebee decline threatens British countryside » The Telegraph (20 oct 2008) (www.telegraph.co.uk/)
- Natural History Museum : « Distribution and decline of British bumblebees » (Project Bombus-2009)
- WILLIAMS Paul H. & OSBORN Juliet L. (2009) : « Bumblebee vulnerability and conservation world-wide » Apidologie 40 Review article www.apidologie.org (www.nhm.ac.uk/)
Article paru dans Abeilles & fleurs N° 706 de mai 2009
Autres articles sur les bourdons, voir la rubrique « Biologie & comportement / Autres abeilles / hyménoptères ».