STEVE ELLIS : Remarques pour la Première Conférence Internationale sur les pollinisateurs, leur santé, leur biologie et la politique les concernant.
Penn State University – 26 juillet 2010
“Point de vue d’un apiculteur sur la politique étatsunienne en matière de pesticides.” Suite & fin.
(Première partie de l’article à l’adresse Point de vue d’un apiculteur…)
L’opinion est actuellement divisée en ce qui concerne le rôle que les pesticides jouent dans le CCD.
Même chez les apiculteurs, il en est qui tombent dans le camp du “n’importe quoi sauf les pesticides.” Il y a évidemment beaucoup de suspects possibles : varroa, poux de trachée, Nosema cerana, Nosema apis, virus, pathogènes, ont été mentionnés comme cause potentielle – et même les téléphones cellulaires ! Au NHBAB nos employés nous ont dit à tous que les téléphones cellulaires ont un effet sur la sante de nos abeilles domestiques. De fait, si le patron est sur son téléphone cellulaire tout le temps, cela aura un effet sur les opérations apicoles.
Le NHBAB croit qu’on trouvera très probablement un lien entre les pesticides et le CDD. Déjà, les études faites d’abord en France et leurs répliques faites par Jeff Pettis aux États-Unis ont montré une liaison entre l’exposition à l’Imidaclopride et l’augmentation des spores de Nosema dans les colonies d’abeilles mellifères. Avant que personne ne parle du CCD, des apiculteurs aux États-Unis avaient fait l’expérience d’immenses dégâts économiques causés par le mauvais usage des pesticides. Dans un article titré “Coûts environnementaux et coûts économiques de l’application des pesticides, essentiellement aux États-Unis,” David Pimentel détaille les coûts associés à l’usage des pesticides (4). Citons le rapport : “les principales pertes en matière d’économie et d’environnement, dues à l’application des pesticides aux Etas-Unis ont été : santé publique, 1,1 milliard de dollars (M$) par an ; résistance des pesticides aux nuisibles, 1,5 M$ ; pertes de production causées par les pesticides, 1,5 M$ ; pertes d’oiseaux dues aux pesticides, 2,2 M$ ; et contamination des eaux, 2,0 M$.”
Écrit avant que qui que ce soit ait entendu parler du CCD, le Rapport Pimentel mentionne les coûts d’empoisonnement des abeilles mellifères et des abeilles sauvages et de la réduction de la pollinisation. Citons quelques phrases de la section consacrée aux abeilles. Pimentel note : “Les abeilles sont indispensables à la production d’environ un tiers des récoltes des États-Unis et du monde. On estime leur bénéfice pour l’agriculture étatsunienne à 40 M$ par an. Parce que la plupart des insecticides utilisés en agriculture sont toxiques pour les abeilles, les pesticides ont un impact majeur sur le populations, et d’abeilles mellifères, et d’abeilles sauvages. Dan Mayer estime que 20% des colonies souffrent des pesticides. Il comprend dans ce chiffre les 5% qui sont tuées immédiatement ou qui meurent durant l’hiver à cause de leur exposition aux pesticides. Un autre 15% des colonies d’abeilles sont ou bien sérieusement affaiblies par les pesticides ou bien souffrent des pertes lorsque les apiculteurs doivent déplacer les colonies pour éviter les dégâts dus aux pesticides.”
Pimentel avait noté que les rapports sur l’estimation des pertes dues à la réduction de la pollinisation engendrée par les pesticides pouvaient atteindre jusqu’à 4 M$ par an (J. Lockwood, Université du Wyoming, PC, 1990). Le total de Dan Mayer est le plus modeste, soit 210 millions de dollars par an pour les pertes de pollinisation. Pollinisateurs et santé des pollinisateurs. C’est ce dont nous parlons ici. Les enjeux sont très élevés. Si les pollinisateurs venaient à faire totalement défaut, 40 M$ de productions agricoles viendraient à disparaître. Les écosystèmes naturels seraient lourdement frappés par des réductions criques en matière de fruits, de noix, de légumes, disponibles en tant que sources de nourriture. Un scientifique expérimenté de l’EPA a révélé à notre groupe que l’EPA prend très au sérieux la question des pollinisateurs. Aux réunions de haut niveau, on décrit le problème comme “rien de moins qu’une affaire de sécurité nationale.”
Les pollinisateurs, en particulier les abeilles mellifères que nous conduisons sont le cheval de trait de l’agriculture américaine. Ces insectes pollinisateurs sont aussi essentiels au bon fonctionnement de l’agriculture que le sont les fils de chaîne et la trame pour maintenir un tissu.
Il y a des choses que nous pouvons faire tout de suite pour attaquer le problème. D’abord et avant tout, nous devons reconnaître l’importance des pollinisateurs. L’Agence pour la Protection de l’Environnement devrait désigner l’abeille mellifère comme une espèce servant d’indicateur critique. Ensuite, il faut traiter les déficiences dans la gestion du risque et dans les processus d’évaluation du risque. Plus spécifiquement, nous allons détailler quelques uns de nos soucis les plus pressants.
1). Le système actuel de régulation à l’EPA ne traite pas entièrement des agressions contre les pollinisateurs, particulièrement lorsqu’il s’agit de pesticides systémiques ou d’autres produits avec des résidus durables. Un bon exemple en est le produit Clothianidine. Cet insecticide a été mis sur le marché et utilisé sur de nombreuses récoltes plusieurs années avant que des tests de terrain de plus haut niveau ne soient terminés. Même lorsqu’on termina ces études, ce fut sur une production mineure (colza sur environ 1 million d’acres – 400 000 hectares) tandis qu’une première utilisation de Clothianidine sur maïs (90 million d’acres – 36 millions d’hectares) était ignorée. Cette différence de production est pourtant significative pour les pollinisateurs puisque le colza est essentiellement une source de nectar avec peu de pollen tandis que le maïs produit seulement du pollen et pas de nectar. Le rôle du pollen dans la ruche est différent de celui du nectar : c’est la source des protéines des abeilles au cours de leurs étapes de développement. L’autre souci que pose le pollen c’est que plusieurs toxines se lient chimiquement plus facilement aux graisses dans le pollen qu’aux sucres dans le nectar. Le pollen peut se trouver stocké durant plusieurs mois pour n’être utilisé qu’en début de printemps. Un article récent de notre revue apicole, Bee Culture, fournit le détail de quelques uns des problèmes qu’ont certains apiculteurs avec les processus de régulation de la protection des abeilles mellifères. Des copies de cet article sont disponibles au fond de la salle pour que vous puissiez les lire.
2). La pratique courante du “mélange dans la citerne (tank-mix)” nous pose aussi problème. Les pesticides, les insecticides, les fongicides et les herbicides ont été conçus et sont annoncés pour une utilisation individuelle. Leur mélange forme quelque chose de très différent. L’EPA n’a pas de crédits pour tester la dangerosité de ces mélanges pour les pollinisateurs. En outre, les formulations des produits incluent des ingrédients inertes, dont beaucoup ne sont pas mentionnés sur l’étiquette . Nombre de ces ingrédients “inertes” sont toxiques en eux-mêmes et d’eux-mêmes pour les abeilles.
3). Les agents tensio-actifs et les additifs comme les combinaisons d’huiles végétales et d’émulsifiants, qui sont habituellement ajoutés au mélange, sont eux aussi capables de multiplier l’efficacité du produit.
4). L’application des produits chimiques est difficile à repérer. Dans beaucoup d’états, les rapports d’applications sont des documents qui ne sont pas publics. Moi, en tant qu’apiculteur dans l’état du Minnesota, je ne peux avoir communication ni consultation des comptes-rendus d’applications de pesticides faites à l’entour de mes abeilles.
5). Les méthodes nouvellement développées d’application des insecticides, comme les traitements de semences, ont entrainé des mortalités d’abeilles. Lors d’un incident durant ce printemps a l’université de Purdue, des abeilles ont été tuées et du pollen contaminé par les produits chimiques Atrazine et Clothianidine lors de la plantation de maïs. L’EPA prétend que cela provient de poussières fugitives soufflées au départ des semences. Si c’était le cas, pourquoi a-t-on détecté de l’Atrazine ? Est-il possible que le sol lui-même ait accumulé de la Clothianidine à des niveaux toxiques, en résultat d’applications successives ? Un article préparé pour le magazine des apiculteurs de l’Indiana est également disponible au fond de la salle.
6). Lorsque les apiculteurs remplissent des dossiers de plainte pour dommages causés par les pesticides, les actions d’application de la loi ne sont souvent pas enregistrées par les fonctionnaires de régulation de l’état. L’information de l’incident n’a pas à être obligatoirement transmise à l’Agence de Protection de l’Environnement des États-Unis.
7). La recherche en toxicologie est une autre de nos préoccupations. Penn State est aujourd’hui une rareté dans notre pays. Leur équipe chargée des pollinisateurs comprend un toxicologue expérimenté, parfaitement compétent sur les abeilles mellifères, Chris Mullin.
8). L’Agence de Protection de l’Environnement des États-Unis n’a pas de toxicologue expérimenté sur les abeilles. En fait, la future conférence de la SETAC (Société pour la toxicologie et la chimie environnementale) à Pellston n’aura pas un seul toxicologue sur les abeilles provenant de l’EPA. Nous souhaitons que l’EPA reconnaisse et corrige bientôt cette déficience critique.
9). Le service de recherche agricole du Ministère de l’Agriculture des États-Unis (USDA) a quatre laboratoires qui s’occupent des abeilles ; aucun n’a un toxicologue spécialiste des abeilles mellifères dans son personnel. Cette déficience handicape les recherches faites par le Ministère sur les pesticides depuis des années. Nous souhaitons que le Ministère reconnaisse et corrige cette déficience bientôt.
10). La recherche en toxicité des produits chimiques aux États-Unis est essentiellement faite par les fournisseurs enregistrés de produits chimiques. Les données de toxicité pour les abeilles sont alors montrées à l’EPA et constituent une partie du processus d’enregistrement. Ce qui arrive ensuite à ces études est qu’elles sont mises sous clef à l’EPA et dans les dossiers des compagnies en tant que données déposées par les propriétaires. Par définition le produit final n’est pas un objet scientifique. Pour qu’on puisse parler de science à propos d’un corpus de connaissances, il faut que ce corpus puisse supporter sa mise en cause et sa vérification répétées par des scientifiques indépendants.
Los têtes enterrées dans le sable ne nous trouveront pas les réponses dont nous avons besoin. Nous devons pouvoir regarder les pesticides et les abeilles dans la pleine lumière du jour et utiliser ensemble la vraie science pour être bien informés et prendre les décisions qui s’imposent.
EN CONCLUSION
Dans notre commentaire public du 17 mars 2009 sur l’Imidaclopride, nous avons averti que “les problèmes auxquels l’EPA est confrontée en matière de régulation de pesticides ne disparaîtront pas avec le bannissement d’un seul composant, nous avons déjà essayé cette solution avec le DDT. En fait, c’est le système de régulation lui-même qui a besoin d’être réformé. Ce sera un gros travail. Ne rien faire au sujet de la crise des pollinisateurs actuelle n’est pas un choix. Le changement fondamental dont nous avons besoin, c’est de revenir à l’EPA à un système qui teste de façon indépendante les composés chimiques avant qu’on ne les autorise pour une utilisation étendue. Précaution et prévention sont des mots qui doivent revenir dans la protection de l’environnement. Des expérimentations de masse sur le terrain, comme ce qui s’est passé avec la classe des néonicotinoïdes dans les insecticides systémiques sont tout simplement trop dangereuses. Notre actuelle crise des pollinisateurs est un avertissement de l’environnement. Nous devons agir avant qu’il ne soit trop tard.”
Nous vous remercions tous de vos efforts. Nous nous réjouissons de travailler ensemble pour assurer la santé et la survie de nos pollinisateurs.
Steve ELLIS
Traduction de Simonpierre Delorme & Kathrin Bosch – ()
avec l’autorisation de la revue Abeille & fleurs
L’original anglais est à l’adresse : http://ento.psu.edu/
Notes
(4) Pimentel, David. “Environmental and Economic Costs of the Application of Pesticides Primarily in the United States.” Environment, Development and Sustainability (2005) 7:229-252 DOI:10,1007/s10668-005-7314-2