Rassurez vous, ce modèle-là n’est pas encore chez nous et il ne viendra pas s’ajouter tout de suite au frelon asiatique !
On a déjà identifié et classifié selon les règles de Carl von Linné à peu près un million et demi d’espèces chez les insectes. On pense que le travail est loin d’être terminé et qu’il en reste « entre 10 et 30 millions » à identifier. Une belle marge.
L’année dernière avait été proclamée l’année de la biodiversité. Les entomologistes qui ont l’habitude d’aller parcourir les jungles éloignées, la canopée des grands arbres d’Amazonie, les biotopes exotiques, pour y découvrir des espèces non encore identifiées, ont redoublé de zèle. Ceux qui font la même chose dans nos prairies et guérets, ont bruyamment fêté leurs découvertes et, pour une fois, on y a prêté attention. C’est ainsi que les Hollandais ont identifié plusieurs nouvelles espèces d’abeilles solitaires chez eux. Cela ne compensera pas (et de loin) toutes celles qui ont disparu dans les cinquante dernières années mais on est content quand même. D’autres entomologistes plus casaniers ont simplement rangé et nettoyé les collections de tel ou tel Muséum et y ont fait d’étranges découvertes.
Depuis plusieurs siècles que nos découvreurs explorent le « far side of the world » ils en ont rapporté des tas de « curiosités » ne serait-ce que pour les placer dans les cabinets du même nom. Ils ont ainsi ramassé, rangé, collectionné, classé, exposé, des milliers de choses, depuis les silex taillés jusqu’aux phasmes, depuis les œufs d’oiseaux jusqu’aux guêpes. Le manque de place pour tout exposer, l’usure du temps, le petit nombre des passionnés, ont souvent fait oublier ces collections dans de grands tiroirs et de hautes armoires, mais de temps en temps, on vérifie que la collection ne s’altère pas. Du coup, on fait parfois des redécouvertes.
Michael Ohl est un entomologiste brandebourgeois et un spécialiste mondialement reconnu en matière de guêpes. Il est administrateur du Musée d’Histoire Naturelle de Berlin. Il a ainsi découvert, dans les collections du muséum, une « méga-guêpe » oubliée dans un coin, au milieu de 400 000 sphéciformes (comme le philante apivore dont on vous a parlé un jour ici), locustes et neuroptères, dont il est le conservateur. La bestiole avait été rapportée par un ornithologue allemand en 1930 ou 31. Elle n’était pas répertoriée et donc théoriquement inconnue. Il est vrai que jusqu’ici, on a seulement répertorié environ 10 000 espèces de guêpes.
Il s’agit d’un mâle, doté de mandibules énormes, plus longues que ses pattes de devant, et d’un corps impressionnant. Sa couleur est d’un noir aussi sombre que celle de notre abeille charpentière. Sa taille est de 6 cm. Si on compare aux 1,5 cm des grosses guêpes qui rodent autour de nos ruchers ou de nos vergers en juillet et août, il y a de quoi s’émouvoir. En fait elle a quelque chose d’une machine de guerre romaine du temps de César (ou chinoise du temps de Qin Shihuangdi), voire un faux air de Dark Vador. Michael Ohl la décrit comme « une apparition vraiment dérangeante.» Serait-ce un insecte disparu ?
Hé bien non ! La bestiole provient en fait d’une ile indonésienne appelée Sulawesi où une autre entomologiste Lynn Kinsey, de l’université de Californie, a pu en trouver deux autres exemplaires (un mâle et une femelle) durant une énorme mission d’exploration de la diversité indonésienne en matière de champignons, de bactéries, de vertébrés, d’insectes, mission en cours depuis plusieurs années. Il faut savoir que Sulawesi est en pleine déforestation et qu’on va en plus y implanter une mine de nickel à ciel ouvert. On aimerait bien laisser un petit coin de l’ile en réserve naturelle.
Lynn Kinsey est professeur à UC Davies et directrice du Musée entomologique Bohart qui s’enorgueillit d’une collection de 7 millions de spécimens.
Nos entomos se sont mis d’accord pour baptiser le monstre. Celui-ci, qui appartient au genre Dalara et à la famille des Crabronidae, s’appellera donc dorénavant « Garuda », du nom d’un personnage traditionnel indonésien, le guerrier mi-humain, mi-aigle, qui, dans la mythologie indienne, est le vāhana, le porteur et l’auxiliaire de Vichnou. La compagnie aérienne indonésienne porte son nom et il est devenu en quelque sorte le symbole national. (Attention,il n’y a pas de vrai lien entre la Vespa crabro, notre frelon européen que chaque apiculteur connait bien et les Crabronidae qui sont à un niveau supérieur de la classification linnéenne et sont un peu un fourre-tout – je prie les vrais entomos de me pardonner mes raccourcissements)
Bien sur, il faudra revenir un jour et essayer d’observer l’espèce dans la nature pour voir comment garuda utilise ses mandibules. En règle générale, les mandibules servent surtout à la défense, au maintien lors de la copulation ou pour piquer une adversaire, voire à creuser des trous (ah, la douce musique de la charpentière !) ou à percer la peau des fruits, un acte dont on accuse régulièrement et injustement nos abeilles mellifères alors que c’est le fait des guêpes.
Reste un détail qu’on n’a pas eu l’occasion de vérifier mais qui constitue tout de même une précision intéressante : Chez les femelles, un peu moins grandes il est vrai, l’aiguillon et les glandes à venin sont évidemment en proportion avec le reste du corps. Qui veut se porter volontaire pour un petit test et nous dire si c’est vraiment douloureux?
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Sources :
- Museum d’Histoire Naturelle de Berlin – Communiqué de presse du 06 septembre 2011 – « Berliner Forscher entdeckt Monster-Wespe, » (www.naturkundemuseum-berlin.de/)
- Märkische Allgemeine : « Ein Wissenschaftler erklärt, wie er auf ein bislang unbekanntes Monster-Insekt stieß, » article du 07 septembre 2011 (www.maerkischeallgemeine.de/)
- Der Tagesspiegel : « Berliner Insektenforscher entdeckt « Monsterwespe, » article du 07 septembre 2011 (www.tagesspiegel.de/)