Face au rouleau compresseur de l’uniformité, des marchands, des sauces en tubes qui masquent le goût des produits standardisés, ce n’est pas forcément gagné. Pourtant, on recommence depuis 21 ans et on a toujours autant de plaisir à le faire. Chaque fois qu’un gamin, voire un adulte, qui est arrivé en disant « Moi, j’aime pas le miel » et qui, par hasard, par curiosité, voire par souci de faire comme les autres, a tout de même bien voulu goûter … et qu’il a tout de même trouvé ça bon … On a l’impression d’une petite victoire sur l’absence de curiosité. Bien entendu, le miel fait partie des thèmes récurrents dans les semaines du goût. C’est pratique et c’est à la mode. Certes, mais c’est un thème qui peut être non seulement gourmand mais aussi, et souvent, AMUSANT. En tout cas cette année à l’Hôpital Saint-Louis, ça semblait bien être le cas.
Dans le Xème arrondissement de Paris, sur la rive gauche du canal Saint-Martin, fonctionne depuis deux ans, à l’initiative de l’Association Ville Mains Jardins, qui gère entre autres le jardin partagé « Le poireau agile, » un petit rucher pédagogique : deux ruches transparentes dans un jardinet bien clos, un panneau d’affichage en construction et quelques intervenants disponibles, apiculteurs et jardiniers, essentiellement pour les groupes scolaires, parfois pour certains groupes de visiteurs favorisés. Le tout est en plein cœur de l’Hôpital Saint-Louis.
L’Hopital Saint-Louis, un lazaret pour les Parisiens.
L’hôpital fut fondé en 1607 par le roi Henri IV, pour désengorger l’Hôtel-Dieu, à la suite de plusieurs épidémies qui avaient frappé Paris. On utilisait alors sans différenciation particulière le nom de « peste » pour désigner toutes ces épidémies (du grec epi« sur » et demos « peuple) et plus tard on parlera d’épizootie pour les animaux et d’épiphytie pour les plantes et les végétaux. Le sens ancien du mot peste a été conservé en anglais pour désigner les ravageurs des cultures, d’où le mot « pesticide » pour désigner les produits anti-ravageurs. (voir la fiche Larousse pour épidémie)
La vocation initiale de « lazaret » de l’Hopital Saint-Louis explique sa construction à l’extérieur de Paris. Le mot « lazaret » désigne un hôpital de quarantaine pour les malades très contagieux ou supposés tels. Il vient de Saint-Lazare par l’intermédiaire de l’italien et d’un vieux mot pour désigner les lépreux (« lazar » qui est devenu « ladre » en français, un mot qui désignait à l’origine un « pesteux »). Il s’emploie aussi en anglais (lazaret, lazaretto, lazarette), en allemand et en russe (pour un hôpital de campagne).
L’avenue Claude Vellefaux porte le nom de l’architecte qui conçut le plan et dirigea les travaux. Saint-Louis est un lieu où se côtoient les architectures du passé et celles du présent. Vu de l’extérieur, de la grande entrée sur l’avenue, et d’un simple point de vue architectural, on peut constater que le contemporain n’a pas toujours été à la hauteur du passé. Vu de l’intérieur, la perspective change un peu. D’un simple point de vue médical et hospitalier, la comparaison n’aurait heureusement pas beaucoup de sens. L’hôpital a une longue histoire en dermatologie et les spécialités actuelles du CHUR (campus hospitalier universitaire et de recherche) sont l’hématologie, l’oncologie et les greffes.
L’extraction dans la salle Henri IV
Les jardiniers, encadrés par trois apiculteurs plus anciens de la Corpo Ambrosia, ont peu à peu acquis les principaux réflexes indispensables. Le rucher devient peu à peu un lieu de visite récurrent pour les classes de l’arrondissement, durant la saison apicole évidemment, même si les ruches transparentes permettent d’allonger un peu cette saison.
C’était la deuxième année d’existence du rucher mais la première année de récolte. Le 18 octobre 2011 a donc eu lieu, sur le thème du miel, la « Journée du goût de l’Hôpital Saint-Louis.» But de l’opération : mobiliser le maximum de gens autour du thème, des apiculteurs à la médiathèque (quiz et exposition de documents), des associations du personnel à l’équipe de la restauration du complexe (repas aromatisé au miel). Au passage, révéler au maximum de gens l’existence des abeilles très discrètement présentes depuis 17 mois dans l’hôpital, déguster le miel de l’année, collecter des recettes de cuisine au miel, admirer les photos entomologiques de Gilles Roux, etc.
La participation de l’association culturelle du personnel de l’hôpital – et en particulier des nombreux Antillais qui y sont fort actifs (le complexe emploie 2500 personnes) – a permis également une dégustation de miel antillais. Les apiculteurs ont ainsi appris que le miel des Antilles est embouteillé et non empoté, et les gourmands sont allés à la découverte de recettes spécifiques. Désormais nous ajouterons systématiquement au « ponche » une cuillerée de miel !
Les demi-cadres des hausses (les greniers à miel) avaient été récoltés et stockés en attente de l’évènement quelques semaines auparavant et l’extraction avait volontairement été un peu retardée pour pouvoir coïncider avec cette journée du goût et intéresser le maximum de visiteurs.
L’hôpital gère une crèche, pour les enfants du personnel, et un certain nombre de ceux-ci sont donc venus le matin. L’après-midi 50 élèves de CE1 de l’Ecole Parmentier voisine ont investi la place, encadrés par Sandrine et Péguy et quelques parents curieux. Les écoliers ont pu assister aux opérations d’extraction et goûter à la récolte. Mais si les abeilles et les explications ont suscité bien des questions, rien n’a égalé le plaisir de tourner la manivelle de l’extracteur, voire celui de manier le peigne au dessus des bacs à désoperculer. Pour les enfants bien sûr mais aussi pour les grands.
C’est promis, l’année prochaine, on recommence.
L’Association Ville Mains Jardins sur Wikipédia.
L’Hôpital Saint-Louis sur Wikipédia