En Tanzanie, l’apiculture peut contribuer à sortir les hommes de la pauvreté

Résumé :
La Tanzanie fait partie de ces malheureux pays d’Afrique qui crèvent de faim depuis leur indépendance. Si on y ajoute les guerres et les mines terrestres qu’elles y ont laissées, le problème du Lac Victoria et de la « perche du Nil, » le virus HIV-sida e tutti quanti, le résultat est assez effroyable. Une petite ONG italienne, dans une des zones les plus touchées par le sida, implante une apiculture très traditionnelle, avec des ruches cylindriques dans les arbres, avec des scutellatae et des melipones, sans beaucoup de moyens matériels mais capable de durer et d’aider à re-socialiser les orphelins qui apprennent à la pratiquer.

La Tanzanie : 940 000 km2, 40 millions d’habitants environ, ancienne colonie allemande puis britannique, indépendante depuis 1961, un des pays les plus pauvres du globe (156e sur 176 au classement du « développement » selon l’ONU). Un habitant sur deux vit avec moins d’un dollar par jour.
L’agriculture représente 60% du PIB, 85% des exportations, 80% des actifs mais le climat et la géographie limitent les champs cultivés à 4% du territoire.
Langues usuelles : kiswahili et anglais. Trois religions : chrétiens, musulmans, animistes, à parts égales. Richesses nationales : le tourisme (Zanzibar, le Kilimandjaro, les parcs nationaux, etc.), le thé, le café, le sisal, et toutes les productions légumières. Un désastre écologique immanent menace le lac Victoria que l’élevage intensif de ce prédateur qu’est la fameuse « perche du Nil » pourrait complètement tuer d’ici quelques années. Un autre désastre typiquement africain est en plein développement : 6 à 7% des adultes (15 à 49 ans) sont porteurs du virus du sida.
A Iringa, une capitale provinciale en altitude (la région d’Iringa serait la plus touchée par le HIV-sida : 12% des adultes porteurs du virus), une ONG italienne, la Communauté Pape Jean XXIII, s’occupe depuis 10 ans de la réinsertion des enfants orphelins et/ou à la rue. L’apiculture leur apporte un soutien matériel mais aussi psychologique.
On pratique essentiellement une apiculture traditionnelle : les ruches sont faites d’un tronc d’arbre évidé, suspendu dans un arbre à proximité d’un cours d’eau, enduit de cire d’abeille pour attirer les essaims. On utilise aussi bien la cire des scutellataeles abeilles africaines célèbres pour leurs capacités de défense et leur cycle de développement plus court : de 18 à 20 jours pour naître – que la cire des meliponaeles abeilles sans dard des tropiques. Après la saison des pluies, entre janvier et mars, les ruches seront colonisées par les essaims. En juin-juillet, le « mouchier », avec un peu de fumée mais sans gant ni masque, prélèvera une partie des rayons, qui seront mis à couler les jours suivants sur des nattes de roseau. On jette la cire dans 95% des cas, on utilise la propolis pour faire de la colle car ses propriétés médicales ne sont pas encore connues, alors même que des études sur les propriétés des plantes médicinales de Tanzanie et leur possibles utilisations contre les infections liées au sida ont débuté dès 2006.
Tout n’est pas rose pour les apiculteurs locaux, qui sont environ 300, répartis dans 12 villages. Les peuples (en italien, on ne dit pas une colonie d’abeilles mais une « famille ») sont très volages et essaiment facilement au premier dérangement voire au premier déséquilibre de leur environnement. Parmi les dits dérangements, il faudra compter par exemple l’attaque des fourmis rouges, ou même celle d’un blaireau. Les blaireaux africains sont exactement comme les nôtres, mais leur poids est double (30 kg au lieu de 15) et leurs griffes en proportion. Le varroa est présent, bien sûr, tout comme le petit coléoptère des ruches, mais les africaines ont développé des stratégies de défense et de « containment » assez efficaces et il leur reste toujours la possibilité d’essaimer dans une région où la végétation est extrêmement riche en plantes mellifères. Une étude récente du ministère du tourisme précise que la région concernée, qui produit actuellement 40 tonnes de miel, pourrait en produire 5000 au vu de sa richesse botanique. La situation est la même dans presque tout le pays.
Le miel tanzanien sert surtout pour les malades du sida et la confection de boissons alcooliques à base de céréales fermentées et de miel, dont les Masai en particulier font grand usage. Le prix du miel est très élevé : un kilo de miel fait presque le 10e du salaire minimum mensuel d’un employé public. D’où une préoccupation supplémentaire pour l’apiculteur : les voleurs !
La « mission » fonctionne avec de jeunes volontaires italiens qui donnent une année de leur vie, quelques permanents qui sont venus pour dix ans, des « cadres » locaux, chrétiens ou musulmans, qui forment leurs voisins à l’apiculture dans les villages des alentours, et une nuée de gamins, séropositifs compris, qui apprennent et pratiquent les secrets du métier qui leur permettra une réintégration plus facile dans la société tanzanienne. La maison de la communauté Jean XXIII à Iringa fait partie d’un « Progetto Africa » qui s’étend aussi à d’autres pays, en particulier la Zambie voisine. Malgré une extrême pauvreté en matériel et en équipements, on insiste sur la formation mais aussi sur l’apprentissage de techniques nouvelles par l’exemple ; ainsi de la récupération de la cire dans un four solaire ou des premières transhumances pour obtenir des miels particuliers. C’est le mise en pratique de la vieille formule : « plutôt que de donner un poisson à ton voisin, apprends lui à pêcher ». En italien, Luca Allais, l’auteur de l’article appelle cela « un gesto dovuto », quelque chose comme « faire ce qui doit être fait » ou « faire son devoir ».

Simonpierre DELORME   ()

Première version de cet article publiée dans Abeilles & fleurs N° 661 de mai 2005
L’Apis – Rivista di apicoltura, janvier 2005, publiée par l’Associazione Produttori Miele Piemonte