La coquille St-Jacques est un mollusque bivalve, c’est-à-dire composé de deux valves calcaires jointes par un ligament flexible. Elle préfère les fonds de sable ou de petit gravier. Elle s’aménage un léger creux sur le fond de l’océan grâce à une série de puissants mouvements de fermeture du bivalve. L’eau est expulsée et l’angle du jet d’eau expulsé est dirigé de façon à creuser un lit dans les sédiments du fond. Elle vit alors à la surface du lit de la mer en se nourrissant de phytoplancton, en particulier d’algues unicellulaires, de matières organiques et de micro-organismes marins.
La Saint-Jacques est mobile. Ce même système de fermeture rapide avec expulsion de jet d’eau lui permet également de se déplacer par bonds successifs en une sorte de nage rapide. Elle peut ainsi échapper à ses principaux prédateurs (étoile de mer). Pecten maximus relâche progressivement le muscle abducteur, puis ouvre et ferme rapidement ses valves, ce qui propulse sa charnière vers l’avant. Dans cette nage, Pecten maximus peut expulser le jet d’eau de chaque coté de la charnière dorsale si bien qu’il se déplace surtout avec le coté courbe de sa coquille.
On peut voir la nage de la coquille dans la vidéo : Queen Scallop Escape
On peut occasionnellement trouver des coquilles particulièrement grandes, jusqu’à 21 cm dit-on, mais la taille usuelle des coquilles pêchées varie de 10 à 16 cm. Pour arriver à cette taille, il leur a fallu un minimum de 4 à 6 ans de croissance, selon la température, la salinité, l’abondance de phytoplancton, la profondeur. La croissance, ralentie voire nulle en hiver, reprend en été et la coquille s’orne de nouveaux anneaux de croissance, de couleurs différentes. Mais la croissance se ralentit aussi avec l’âge de l’animal et les anneaux deviennent de plus en plus difficiles à distinguer.
Autour du manteau, parmi les minuscules tentacules sensitifs, on trouve de petits yeux bleu-vert d’environ 1,5 mm de diamètre, avec une rétine très spécialisée qui fait réagir la coquille à chaque passage d’ombre ou à chaque mouvement proche.
C’est le caoutchouc qui travaille
Dans la coquille, c’est le caoutchouc qui travaille. La coquille peut nager, pas trop vite et pas très gracieusement certes, mais ça lui suffit pour s’éloigner de ses prédateurs. Dans les eaux tropicales, pas de problème ; dans les eaux froides (et plutôt visqueuses) de l’Antarctique, elle y arrive aussi. En fait, résume l’article du Journal of Experimental Biology, il semble que ce soit le caoutchouc qui relie les deux faces du bivalve qui s’est adapté.
Pour nager, les deux faces se contractent et l’eau est expulsée. Puis le muscle se relàche et les deux faces s’ouvrent brutalement. Mais pour faire bouger une grosse coquille plate dans l’eau, il faut beaucoup d’énergie. Deux biologistes, Mark Denny et Luke Miller, deux spécialistes californiens de biomécanique, ont cherché à comprendre comment les coquilles s’étaient adaptées. Une première constatation : en Antarctique, les coquilles sont plus légères ; il sera plus facile de leur faire quitter le fond sur lequel elles reposent (il est vrai qu’il y a aussi moins de prédateurs en Antarctique pour les coquilles). Le muscle qui les attache est malheureusement lui aussi plus petit. C’est logique puisque la coquille est plus légère mais cela n’avantage pas la nage.
En fait c’est la nature de la charnière qui s’est modifiée. Elle est faite d’un élastomère entropique, l’abductine, une protéine qui ressemble au caoutchouc et qu’on trouve chez les mollusques. Quand ce « caoutchouc » se contracte, les chaines de protéines enchevêtrées qui le composent se réarrangent et s’organisent ; quand il se relâche, elles retournent à leur désordre initial (entropie). Ce choix de l’abductine devrait pourtant sembler curieux puisque le refroidissement des élastomères entropiques les rend généralement plus visqueux, moins raides. Est-ce un bon choix pour les coquilles des mers froides ? Oui quand même, dans la mesure où la résilience du matériau abductine « froide », sa capacité à résister au choc et à récupérer une partie de l’énergie, est sensiblement plus élevée que celle de l’abductine des mollusques des mers chaudes. C’est ce petit détail qui a fait la différence dans l’adaptation aux mers froides.
Deux remarques rapides au passage :
1) Le terme de résilience qui provient de la physique des matériaux a acquis une nouvelle dimension lorsque l’éthologue Boris Cyrulnik bien connu du grand public, l’a adapté à la psychologie pour en faire une sorte de capacité de reconstruction personnelle.
2) Les études de nos deux biologistes concernaient les mécanismes élastiques, l’utilisation de blocs de base qui se configurent différemment pour obtenir des fonctions différentes et l’utilisation des élastomères pour le mouvement chez les invertébrés depuis certains cercopes (un ravageur des cultures) jusqu’à certains cnidaires (coraux, anémones de mer, méduses) en passant par nos mollusques bivalves. Le but final, comme souvent dans ces études, est de découvrir des matériaux et des propriétés qu’on pourra utiliser un jour en biomimétique. Mère Nature a bien des richesses et nous n’avons pas fini de les utiliser.
La Coquille de « Monsieur Saint Jacques » et de Vénus
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Le pèlerinage à Saint Jacques de Compostelle en Galice (Santiago de Compostela) est un des plus célèbres de la Chrétienté d’Occident. Il se terminait traditionnellement par l’achat d’une coquille Saint-Jacques (en argent, en laiton, en plomb) devant la cathédrale. Cette coquille fixée au manteau, au chapeau ou au bourdon (le grand bâton de marche et de défense) du pèlerin, attestait de la bonne fin de sa quête. La vente de ces « Coquilles de Messire Saint Jacques » n’était autorisée qu’à l’intérieur de la ville. Il faut dire que nombre de vagabonds, gueux ou « routiers » se prétendaient pèlerins pour mieux demander l’aumône et que le nom de « coquillard » était devenu synonyme de brigand.
Le Codex Calixtinus, vers 1140, dit que cette coutume existait déjà avant l’an 1100, après la construction de la cathédrale sur l’emplacement de l’église détruite par les Arabes et censée abriter la tombe de l’apôtre Jacques le Majeur. Le même livre raconte les origines du pèlerinage : l’apparition de Santiago (Saint Jacques) à Charlemagne vers la fin du 8e siècle pour lui demander de venir libérer son tombeau occupé par les Maures, la descente de l’empereur en suivant la Voie Lactée jusqu’à la « fin des terres » (le cap Finisterre en Espagne) et le début de la « Reconquista » espagnole qui dura quatre siècles.
C’est à cause de cette histoire plus ou moins légendaire que la Voie Lactée est appelée dans la langue populaire le « chemin de Saint Jacques » – on le rappelle dans les « Lettres de mon moulin » d’Alphonse Daudet, dans « Les Étoiles, récit d’un berger provençal »
De nombreuses légendes sont censées expliquer les liens entre Saint Jacques le Majeur et la coquille. L’une d’elles raconte que le bateau transportant la dépouille mortelle de l’apôtre entrait dans l’embouchure de la rivière lorsqu’un pieux chevalier fit entrer son cheval dans l’eau pour venir à sa rencontre. Hélas, celui-ci perdit pied et cheval et cavalier se noyèrent ! Le miracle s’accomplit alors : tous deux réapparurent, sortant de la mer, mais cette fois entièrement couverts de coquilles. C’est ainsi que les coquilles sont devenus le symbole de Saint Jacques.
D’autres légendes reprennent l’étymologie populaire du Campus Stellae, le « champ de l’étoile », qui aurait indiqué l’emplacement de la tombe du saint. L’étymologie est aujourd’hui contestée et des travaux récents veulent faire dériver le nom de Compostela du bas-latin compostum ou compositium, l’endroit où on prépare et enterre les morts).
Pour désigner la coquille, dans toute notre Europe de tradition chrétienne, le souvenir de la solidarité européenne face aux Maures a maintenu la référence à Saint Jacques et au pèlerinage. C’est le cas en français mais aussi en allemand (Jakobs-Pilgermuschel), en anglais (Jacob’s scallop, St. James scallop, pilgrim’s scallop), en néerlandais (sint-jacobsschelp, jacobsmantel), en espagnol (concha de peregrino).
D’autres noms ont fait référence à la forme en peigne de la coquille (fan scallop, kammmuschell, kamschelp). C’est d’ailleurs le sens du nom latin pecten : Pecten maximus signifie « le plus grand peigne » et désigne la plus grande coquille de ce type.
Dans l’Antiquité, la coquille Saint-Jacques était le symbole de Vénus, déesse de l’Amour. C’est pourquoi dans le tableau de Botticelli, « La Naissance de Vénus », on voit la déesse sortir d’une coquille Saint-Jacques. Veneris, le génitif latin de Venus, a donné un autre nom en espagnol pour la coquille : Concha venera, puis Venera tout court.
Le nom anglais scallop, qui désigne la Saint-Jacques, vient du vieux français escalope, dans le sens d’écaille et désignait un coquillage. Les mots allemand, néerlandais, anglais, danois, etc. qui signifient coquille ou coquillage sont de même origine : Schell, schelp, shell, skjell, etc. en rapport avec le français écaille.
La coquille Saint-Jacques est aussi l’emblème du groupe pétrolier Shell (shell signifie coquillage ou coquille). Le fondateur du groupe, Marcus Samuel, avait fait ses premières armes dans les affaires comme antiquaire et commerçant spécialisé pour les collectionneurs de coquillages, d’où le nom choisi plus tard pour sa société de négoce et de transport de pétrole.
Aujourd’hui, pour les collectionneurs de coquillages, un site internet belge affiche en permanence, pour les vendre, les photos de plus d’un millier de pétoncles de plus de 120 variétés, dont une centaine seulement de Pecten maximus. (www.conchology.be/). C’est le moment de vérifier l’origine et le nom scientifique des pétoncles exotiques que vous avez vus dans votre supermarché !
Dans sa classification, Linné décida en 1758, de distinguer la Saint-Jacques de l’Atlantique, la plus grosse (Pecten maximus) de la Saint-Jacques de Méditerranée plus petite (Pecten jacobaeus). Les noms courants ont repris cette pratique en allemand (grosse Kammmuschel, große Pilgermuschel), en anglais (great scallop), en néerlandais (grote mantel, grote kamschelp) pour différencier la grosse Saint-Jacques de l’Atlantique de la plus petite coquille de Méditerranée.
Simonpierre DELORME ()
Sources :
- DENNY, Mark & MILLER, Luke (2006) : Research Article – « Jet propulsion in the cold: Mechanics of swimming in the Antarctic scallop Adamussium colbecki, » Journal of Experimental Biology N° 209, (http://jeb.biologists.org/)
- Sarah Clare : « Cold Scallops rely on rubber »- Inside JEB 209 (http://jeb.biologists.org//)