Grille à reine ou pas grille à reine ?

Chaque apiculteur conduit ses colonies avec ses outils et ses méthodes … et aussi ses objectifs profonds. Quand on travaille sur le vivant et sur des organismes aussi complexes que les peuples d’abeilles, la recherche de tel objectif immédiat handicape souvent d’autres objectifs tout aussi souhaitables mais plus mal perçus. D’où les innombrables discussions pour essayer de prévoir l’ensemble des conséquences de telle ou telle action de notre apiculteur dans ses moindres détails. Alors : grille à reine ou pas grille à reine ?

En 1865, un prêtre lorrain, l’abbé Collin, invente la grille à reine. Jusqu’alors la reine pouvait pondre partout dans les ruches compactes, y compris dans les rayons de miel. La même année, un militaire autrichien, le major Hruschka, invente l’extracteur. La récolte de miel sera désormais plus facile, se félicite Geert Staemmler dans un premier article du DBJ.

Grille à reine plastique DB10c

Les premières grilles sont en bois. Elles vont rapidement s’altérer à la chaleur humide de la ruche et laisser tout de même passer une reine. Les grilles suivantes seront faites de carton fort ou de fer blanc estampé, puis de gros fils de fer et de traverses voire de tiges de métal. Aujourd’hui elles sont faites de métal ou de plastique et la toute dernière création de la société Bienen Voigt est moulée et faite de tiges rondes de plastique. Le nettoyage des dépôts de cire et de propolis sur les grilles à reine est aisé : quelques heures au congélateur et on tord légèrement la grille pour les faire sauter ; ou bien on la racle à plat avec une spatule.
La grille à reine, en combinaison avec la hausse plate moderne ou le chasse-abeille, facilite beaucoup le travail de l’apiculteur qu’il soit chevronné (il gagne du temps) ou débutant (il sait plus facilement par exemple où chercher la reine). On l’utilise dans d’autres circonstances : l’isolation d’un secteur pour la petite production de gelée royale par exemple. Oui, mais …

Oui mais… (ce paragraphe ne figurait pas dans l’article initial et nous le rajoutons pour cette nouvelle parution) Sans aller jusqu’à parler d’instrument de torture, la grille à reine est aussi une contrainte sérieuse pour les ouvrières elles-mêmes. Elles s’y useront un peu plus les ailes… et, si la miellée est forte, elles auront ainsi tout de même tendance à préférer remplir de nectar le corps de ruche plutôt que la hausse. Si nous raisonnons Dadant-Blatt, 10 cadres qui plus est et non 12 cadres, ce n’est pas une bonne idée, quand la miellée bat son plein, que de limiter ainsi la place disponible pour le couvain et d’inciter ainsi le peuple à l’essaimage… C’est pourquoi certains apiculteurs n’utiliseront la grille à reine qu’au dessus de la première hausse, si la reine est montée pondre dans cette dernière. Pratique plus intelligente que la pose systématique au dessus du corps de ruche de Dadant-Blatt. D’autres apiculteurs enfin éviteront un outil qui représente une vraie barrière non seulement pour la reine et les faux-bourdons, mais également pour les ouvrières elles-mêmes. Ainsi on sait que certains apiculteurs ont installé à l’avant de leurs hausses, au centre, un trou de vol doté d’un bouchon et qu’ils ôtent ce bouchon et ouvrent ce trou de vol durant les fortes miellées, pour que les butineuses l’utilisent à cette période (même si elles ont des habitudes bien ancrées par ailleurs). Or si la reine est montée pondre dans la première hausse, si l’apiculteur découvrant la chose insère une grille à reine et si dans la hausse il y a du couvain tout frais, on verra parfois les abeilles installer dans cette hausse un élevage de sauveté ! Dans l’esprit de ces abeilles-là, la grille à reine délimite donc bien une colonie.

Retournons à nos Allemands. Chez les apiculteurs de l’association Demeter et de l’école bio-dynamique, la grille ne sert pas. Le peuple de la ruche y est considéré comme un organisme complet regroupant reine, bourdons, ouvrières, rayons de couvain comme de miel. La reine répand ses phéromones partout dans cet organisme, pas seulement par l’intermédiaire de sa cour mais également quand elle se déplace sur les cadres. L’apiculteur, explique Günter Friedmann dans un autre article, évitera toute coupure même temporaire de cet organisme.

Le risque de voir le couvain s’étendre du corps de ruche vers une première hausse, est peu régulé par le bonnet de miel qui entoure le couvain. Ce risque dépend surtout de la miellée : si elle est forte et que les abeilles remplissent vite les cadres de hausse, la chance d’y trouver quelques œufs est faible ! Si la miellée est plus lente, la chance est plus réelle.

Cette nouvelle perspective, répugnant à utiliser un outil considéré pourtant bien commode, oblige à une surveillance accrue, voire à des pratiques nouvelles. Ainsi Günter Friedmann prétend que certaines souches ont plus tendance que d’autres à souhaiter « monter » le couvain et que l’apiculteur aura intérêt à limiter leur multiplication. Mais il rappelle aussi, dans ce monde allemand qui a tant de modèles divers de ruches, que plus les cadres de hausse sont grands, plus le risque de voir la reine y monter existe.

Simonpierre DELORME   ()

 

Une première version de cet article a été publié dans la rubrique « Revue de presse » d’Abeilles & fleurs N° 666 de novembre 2005. Elle résumait deux articles de Geert Saemmler et Günter Friedmann publiés dans le numéro d’avril 2005 du Deutsches Bienen Journal.

Compléments :

  • CETAM Dr Albert BECKER : « Lorraine et apiculture – Passé, présent, futur » (2010) : www.cetam.info
  • Lebendiges Bienen Museum Knüllwald : « Technik der Honiggewinnung, von traditionellen Methoden bis zur modernen Honigschleuder » (18 mai 2003) Une histoire abondamment illustrée de l’extraction.
    (www.lebendiges-bienenmuseum.de/)