Les abeilles asiatiques (Apis cerana) ont développé une stratégie qui leur permet de tuer les éclaireurs des frelons asiatiques géants (Vespa mandarinia) par « thermo-balling » c’est à dire en les « emballant » dans un épais cocon d’ouvrières qui vont monter en température jusqu’à atteindre le niveau létal pour le frelon. Cet « emballement » comme disent les apiculteurs est bien connu et pratiqué par toutes les races d’abeilles dans diverses circonstances, chaque fois qu’il est possible. A Chypre, la race locale de l’abeille européenne (Apis mellifera cypria) ne peut utiliser cette technique contre son principal prédateur, le frelon oriental (Vespa orientalis), parce que les températures létales respectives des unes et des autres sont ici trop proches et que, de toute façon, les abeilles ne pourraient pas monter si haut en température. Elles ont donc inventé une stratégie plus élaborée.
Un comportement nouveau dans le règne animal
On vient de découvrir un nouveau comportement de défense collective chez l’abeille, inconnu jusqu’ici dans le règne animal. Les abeilles chypriotes étouffent leurs prédateurs, les frelons chypriotes, en les enserrant et en bloquant les orifices d’entrée d’air ainsi que les mouvements respiratoires de l’abdomen.
Une équipe de chercheurs grecs menée par Alexandros Papachristoforou, en collaboration avec les chercheurs français du CNRS Gérard Arnold et Agnès Rortais, du Laboratoire Évolution, Génomes, Spéciation (LEGS) de Gif-sur-Yvette, est à l’origine de la découverte d’un nouveau comportement de défense, dans un domaine dont on pensait avoir fait le tour.
Le frelon, prédateur de l’abeille
Les frelons sont des prédateurs d’insectes et une menace pour les abeilles dans de nombreuses régions du monde. Les intéressent le miel bien sûr, pour son sucre, mais aussi et surtout la viande des abeilles (et à certaines périodes de l’année celle des larves d’abeilles qui pourront faire partie de la bouillie de protéines qu’ils préparent pour les jeunes futurs frelons). Les frelons fondent souvent sur les abeilles au moment où elles se posent avant d’entrer dans la ruche. Ils les saisissent, les enlèvent et les tuent alors de leurs puissantes mandibules pour les manger. La cuticule des frelons est très dure et les piqûres d’abeilles sont généralement sans utilité car elles ne feront d’effet que si leur dard arrive à pénétrer une zone de moindre résistance.
Les abeilles japonaises « cuisent » le frelon géant local
Au Japon, on avait remarqué que les abeilles européennes (Apis mellifera) installées dans le pays y étaient sans défense devant le frelon géant local. Quand une exploratrice de la Vespa mandarinia japonica avait repéré une ruche et l’avait marqué de ses secrétions, elle revenait ensuite avec quelques congénères pour piller et anéantir la colonie. En 3 heures, 30 frelons géants liquidaient un peuple de 30 000 abeilles européennes ! Avec ses mandibules, un frelon géant peut tuer jusqu’à 40 abeilles européennes à la minute. Par contre on savait que les abeilles locales (Apis cerana japonica) plus grosses, avaient trouvé comment neutraliser les éclaireurs ennemis. Les premiers travaux réalisés sur le comportement de défense de ces abeilles indigènes avaient montré comment, lorsqu’un frelon isolé tentait d’inspecter le nid et de le marquer, l’odeur de l’intrus les faisait immédiatement se rassembler à près d’une centaine autour de lui et le traîner à l’intérieur s’il n’y était pas déjà entré. Elles forment alors à plusieurs centaines une boule qui l’enserre – on dit qu’elles l’emballent – et, en quelque sorte, elles le rôtissent vivant. En fait elles le tuent en produisant de la chaleur à l’intérieur de cette boule, ce qu’on a nommé en anglais le thermo-balling. La vibration de leurs muscles leur permet de monter à l’intérieur de la boule à une température de 47°C, donc légèrement supérieure à la température létale du frelon géant japonais soit 45°C. Cette technique de défense semble impossible pour les abeilles européennes plus petites et qui présentent à peu près la même température létale que celle du frelon japonais. On savait d’ailleurs que, lorsqu’elles construisent ou chauffent le couvain, nos abeilles Apis mellifera pouvaient atteindre au mieux les 42°C mais pas au delà.
La défense originale des Chypriotes contre le frelon oriental
Pourtant dans certains cas, nos abeilles sont capables de se défendre en tuant leur agresseur autrement. Gérard Arnold, Agnès Rortais, Alexandros Papachristoforou et ses collègues grecs de l’Université Aristote, de Thessalonique, ont montré que les abeilles mellifères de Chypre (la sous-espèce Apis mellifera cypria) utilisent une technique jusqu’alors inconnue pour tuer leur principal prédateur, le frelon oriental (Vespa orientalis) qu’on retrouve dans plusieurs pays du pourtour méditerranéen, au Moyen-Orient et en Inde. Quand un frelon essaie de s’attaquer à une abeille devant la ruche, ou qu’il essaie de pénétrer dans celle-ci, un grand nombre de gardiennes (entre 150 et 300) l’enserre et bloque sa respiration, à la fois en empêchant ses mouvements respiratoires abdominaux et en recouvrant les stigmates c’est-à-dire les orifices d’entrée et de sorties d’air.
Chauffer ? Oui. – Piquer ? Non.
Comment est-on parvenu à faire ces découvertes ? Les chercheurs ont d’abord constaté que la température à l’intérieur de la boule d’emballage n’atteint que 44°C alors que la température létale du frelon oriental est de 50°C. D’ailleurs c’est hélas aussi celle de la mellifera cypria.
On constate ensuite que dans ces conditions d’emballement les frelons meurent beaucoup plus vite que si on les maintient dans un incubateur à la même température : en gros une heure au lieu de deux heures et demie. Il existe donc un autre facteur que la température.
Se pourrait-il que des abeilles réussissent tout de même à piquer le frelon ? On a vérifié et c’est extrêmement rare : L’analyse de 130 frelons emballés montre que trois seulement avaient reçu une piqûre.
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