Nur durch den Winter kann der Lenz erreicht werden – (« Ce n’est qu’en traversant l’hiver qu’on atteint le printemps » – proverbe de haute Alsace)
QUESTION SURPRISE : Savez-vous quelle est la stratégie qu’ont en commun les abeilles d’hiver et les manchots empereurs ? La réponse est dans cet article, avec bien d’autres ! On demande parfois aux apiculteurs s’ils doivent chauffer leurs ruches pendant l’hiver. Question logique pour qui sait que les abeilles sont des animaux à sang froid (ou plus exactement à hémolymphe froide). Pourtant les abeilles souffrent plus de l’humidité qui pourrait régner dans la ruche que des froids parfois rigoureux de l’hiver. Depuis 100 millions d’années, elles savent toujours maintenir entre 10 et 20°C la température de la grappe hivernale qu’elles forment dans la ruche, et ce, quelle que soit la température externe autour de cette grappe. Plus généralement les insectes souffrent moins des hivers durables et rigoureux que des températures trop tièdes qui les incitent à bouger. Les abeilles d’hiver, plus grasses et dont le système glandulaire est moins sollicité, vont vivre sensiblement plus longtemps que les ouvrières d’été qui leur succéderont. Ce n’est qu’en traversant l’hiver qu’on peut atteindre le printemps.
On demande parfois aux apiculteurs s’ils doivent chauffer les ruches durant l’hiver. C’est logique, puisque les abeilles sont des animaux à sang froid, ou plus exactement à hémolymphe froide (l’hémolymphe des abeilles ne véhicule que les nutriments et ne véhicule pas l’oxygène ; les insectes disposent pour respirer d’un circuit autonome de stigmates, trachées et trachéoles. Lire à ce sujet Les insectes sont de petites bêtes…).
Les abeilles n’hibernent pas (avec un B) dans un sommeil profond, comme les ours par exemple ou d’autres mammifères, mais elles hivernent (avec un V) comme le coureux de bois canadien au fond de sa log-cabin. Depuis 100 millions d’années, les abeilles savent toujours maintenir entre 10 et 20°C la température de la grappe hivernale qu’elles forment dans la ruche, et ce, quelle que soit la température externe autour de cette grappe. Dans les hautes latitudes du Canada, de Scandinavie ou de Sibérie, un peuple d’abeilles mellifères arrivera ainsi à supporter des températures extérieures de -30 ou -40°C. Il est vrai que l’évolution a aussi sélectionné des écotypes adaptés à la région. Cela étant, les abeilles importées du Danemark en Groenland se sont adaptées sans problèmes particulier à un climat plus rude que celui dont elles avaient l’habitude.
Les apiculteurs préféreront généralement un froid vif pour leurs abeilles plutôt qu’une tiédeur humide, source de maladies ou de mycoses. Dans les périodes de froid durable comme celles que nous avons de plus en plus ces dernières années, le peuple d’abeilles s’amasse en une grappe épaisse au milieu des cadres du corps de ruche. Dès le retour de la période chaude, il va se développer d’autant plus rapidement qu’il a eu plus froid.
Il en est d’ailleurs des abeilles comme de certains autres insectes : paradoxalement, il faut se rappeler que le froid vif ne gêne pas tant que cela les parasites et les ravageurs des plantes. Au contraire, il semble bien que ces insectes et/ou leurs œufs traversent fort bien l’hiver, tapis dans les replis de la plante ou sous les écorces, Très souvent, c’est sous formes de larves ou de nymphes (pupes) qu’ils survivent, et certaines larves, voire certains adultes des latitudes élevées, arrivent non seulement à réduire la quantité d’eau de leur organisme mais aussi à produire dans leurs cellules un antigel (du glycérol souvent) qui les aidera à résister. Seuls les hivers un peu tièdes les affaiblissent et voient leur nombre se réduire. En effet, une température plus clémente les incitera à consommer plus rapidement leurs provisions d’hiver qui leur feront alors défaut au début du printemps. De même, les colonies d’abeilles au sortir d’un hiver trop doux verront souvent un développement plus hésitant au printemps.
La population d’une colonie d’abeilles est beaucoup plus faible durant l’hiver, L’été précédent, en mai-juin, les peuples d’abeilles étaient montés jusqu’à 30, 40, 50.000 individus, mais en hiver, il n’en restera que 5 à 10.000 dans la grappe. Ces abeilles d’hiver disposent dans leur corps de réserves de graisse plus importantes que les abeilles d’été. En outre elles ne font pratiquement pas travailler leurs diverses glandes. Elles ne nourrissent pas de larves et n’utilisent donc pas leurs glandes à gelée royale. Elles ne bâtissent pas et n’utilisent donc pas leurs glandes cirières. Elles ont moins souvent l’occasion de se défendre contre d’autres insectes qui n’existent plus en hiver comme les guêpes et les frelons, ou ne sortent plus comme les autres colonies d’abeilles, et elles n’utilisent donc généralement pas leurs glandes à venin. Cette inactivité des diverses glandes fatigue moins leur métabolisme et leur permet ainsi de vivre beaucoup plus longtemps que les abeilles d’été.
Pour maintenir un minimum de chaleur, les abeilles font vibrer très doucement, dans leur thorax, la musculature qui anime les ailes à leur base. Les ailes ne bougent pratiquement pas. On entend à peine un très léger frémissement qui n’est pas perceptible de l’extérieur de la ruche. Toute la grappe tourne très doucement à l’intérieur d’elle-même : les couches externes (où sont donc les abeilles qui ont plus froid que les autres) progressent très doucement vers l’intérieur, elles s’y réchaufferont un moment et elles continueront leur progression pour se retrouver à nouveau vers l’extérieur de la grappe. Le mouvement est exactement semblable à celui des colonies de manchots empereurs sur la banquise. Il est très lent et la rotation complète d’une abeille dans la grappe dure à peu près une journée. Seule la reine au centre, et les toutes jeunes abeilles nées juste avant l’arrivée des grands froids, disposées au dessus d’elle, ne bougent pas et restent au même emplacement de la grappe, donc à la même température, de l’ordre de 20°C tout de même.
Pour pouvoir produire la chaleur nécessaire, un peuple consommera entre 50 et 100g de miel (ou de candi protéiné, s’il est besoin) par jour selon les températures extérieures. De fin septembre à fin mars, cela représente de 15 à 20kg de réserves pour une colonie. Cette consommation va remplir ce qu’on appelle l’ampoule rectale des insectes, dans laquelle une chimie particulière empêchera les excréments de fermenter. Mais il faudra bien que les premiers jours un peu tièdes du début février autorisent un vol de propreté pour aller vider cette ampoule rectale à des températures de l’ordre de 10-15°C avant que le peuple ne puisse reprendre son train-train hivernal.
Parlons un peu des autres hyménoptères sociaux : les peuples sont morts avant l’hiver et seules les nouvelles reines ont survécu. Ce sont les reines, nouvellement nées et fécondées, des colonies de bourdons, les grosses abeilles sauvages poilues dont on ne peut récolter le « miel » trop humide, trop peu abondant et qui fermentera rapidement. Ce sont aussi les reines, nouvellement nées et fécondées, des colonies de guêpes et des colonies de frelons, qui sont de la même famille que les guêpes et sont carnivores comme elles. Toutes ces reines hivernent individuellement après leur fécondation et avant l’arrivée du froid. Parfois, certaines reines de frelons des régions plus chaudes peuvent hiverner à deux ou trois au même emplacement. Elles passeront l’hiver à l’abri du gel, soit enterrées sous la terre, soit dans des écorces d’arbres. Elles en sortiront dès la mi mars (et au-delà selon les diverses espèces) pour fonder toutes seules une nouvelle colonie. Mais la sélection est dure. Entre la survie en hiver et les combats de printemps toujours possibles à l’époque de la recherche et de la conquête de futurs abris, on estime qu’une sur 10 seulement de ces reines fécondées arrivera à fonder un nouveau peuple d’insectes.
Simonpierre DELORME ()Publié pour la première fois en janvier 2010